Le corporate procrastin-hacking

J’ai eu l’occasion il y a 2 bonnes années d’échanger avec un coach sur les vertus de la procrastination sur le travail et l’impact que celle-ci pouvait avoir sur le processus créatif. Alors vous me direz dans une société réglée comme du papier à musique, « Dionysos » n’a pas sa place. On doit être performant. Et si la procrastination qu’elle soit consciente ou inconsciente était un mécanisme de protection pour certains individus ? E si la procrastination était une forme de « corporate hacking passif », une étape nécessaire avant de passer à la phase active pour certains ou tout simplement la forme la plus répandue ? Je me pose la question. Notamment quand je lis ,ça et là, les divers tribunes sur l’engagement au travail. Le taux d’engagement moyen mondial est de 65% selon une étude de Aon Lewitt pour 2016. Il y a certainement des variations entre les tranches d’âges, et les catégories socio-professionnelles.

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Le travailleur procrastinateur est perçu comme celui qui perd son temps, repousse toutes les tâches à plus tard pour finalement ne pas les faire, ou mal les faire. Il est perçu comme l’antithèse du travailleur productif et efficace. Loin de minimiser l’aspect négatif que la procrastination peut avoir sur l’environnement d’un individu, je vous propose de revenir sur quelques éléments de définition de la procrastination.

La procrastination pour plus de productivité
Vous êtes du genre à tout remettre à demain ?  La procrastination, c’est la tendance, que certains érigent en art, de remettre toujours à plus tard les activités obligatoires. Du citoyen qui remet systématiquement à plus tard sa déclaration d’impôt, au salarié qui remet au lendemain les tâches les plus ingrates : on connait tous des procrastinateurs…on l’a d’ailleurs sûrement déjà tous un peu pratiqué 😉 !

De plus en plus d’études tendent à prouver qu’un collaborateur qui procrastine (de façon intelligente) serait plus productif qu’un collaborateur trop organisé et trop acharné à la tâche. Mythe ? Réalité ? Retour sur ce phénomène qui ne cesse de s’amplifier grâce aux smartphones et autres objets connectés : la procrastination. Alors la procrastination, futur cheval de bataille des stratégies RH et RSE avant-gardiste ?

Pour commencer, c’est une histoire de concentration. D’après les recherches en sciences sociales et cognitives, un esprit humain (adulte j’imagine) ne peut rester concentré en moyenne que 52 minutes d’affilée sur une même activité. Au-delà, il commence à s’évader, à perdre en concentration et en productivité,  pour 52 minutes de travail, il faudrait 17 minutes de “break”.

Procrastiner, c’est mettre cette théorie en pratique, en faisant plus de pauses. Mais “faire une pause” ne signifie pas forcément ne rien faire du tout. Le cerveau n’a pas d’interrupteur, alors pour lui permettre de « respirer », on peut « scinder» le travail sur une  tâche complexe, c’est un peu comme une analyse créative ou un scrum avec ses sprints, mais c’est le cerveau qui s’en occupe … Cela permet au cerveau de générer des pics de pleine capacité, notamment lorsqu’on revient à l’activité principale complexe, et on évite ainsi cer dernier d’être fatigué et de développer l’efficacité sur la tâche.

La raison à cela ? D’après le psychologue Bluma Zeigarnik, c’est parce que notre cerveau, lorsqu’une activité n’est pas terminée, ou que l’on sait qu’une activité reste à faire, fonctionne  en mode “tâche de fond”.  Il y a d’ailleurs une expression décrire cela : « dormir sur le problème X ou Y ». En résumé, notre inconscient continue à y réfléchir sans qu’on y pense, et cela aide généralement les idées à venir. Laisser à son esprit le temps de vagabonder et retrouver l’errance de l’imagination seraient les meilleurs moyens d’augmenter sa créativité !
La recherche montre aussi que les procrastinateurs sont plus efficaces pour trouver des moyens simples et rapides de résoudre leurs problèmes, ils évitent mieux les obstacles, trouvent des techniques pour automatiser les choses. Ils déclarent souvent être aussi plus productifs dans le rush.

La procrastination, un signe de créativité ?

C’est en tout cas ce qu’assure Adam Grant, un psychologue et professeur américain. Il a ainsi expliqué qu’en remettant certaines choses à plus tard, on laisse notre esprit vagabonder. Ce faisant, les idées conventionnelles qui nous viennent facilement, sont peu à peu remplacées par des idées beaucoup plus innovantes. Adam Grant a commencé à s’intéresser à cette possibilité lorsque l’une de ses plus brillantes étudiantes lui a avoué que c’est après quelques heures de procrastination,elle devenait plus créative. Devenue elle-même professeure à l’Université du Wisconsin, Jihae Shin a mené deux enquêtes sur le sujet au sein de deux entreprises. Elle s’est alors rendue compte que son cas n’était pas isolé;  les employés qui avaient tendance à repousser l’échéance faisaient ensuite preuve d’une plus grande inventivité. Pour avoir un appui scientifique, la jeune femme a ensuite décidé de mener une étude sur un groupe de personnes choisies. Elle leur a demandé de soumettre des idées de business plan, mais pas dans les mêmes conditions. Certains ont ainsi été invités à jouer au Démineur ou au Solitaire durant cinq minutes avant de faire des propositions. Résultat ? Leurs idées étaient en moyenne 28% plus créatives que celles des autres participants.

On a tous connu le syndrome de la page blanche, particulièrement dans les métiers créatifs. Dans le cas où l’inspiration ne vient pas, inutile de s’acharner et de rester des heures à réfléchir. Faire une pause et remettre à plus tard semble être une meilleure solution.

Les plus grands de ce monde, des procrastinateurs ?

Les plus grands discours ont souvent été écrits à la dernière minute parce que cela permet d’avoir plus de flexibilité une fois que vous êtes sur scène. Cette improvisation est impossible lorsque vous écrivez quelque chose plusieurs mois à l’avance. Et si vous prenez Léonard De Vinci, vous voyez qu’il a travaillé sur le portrait de Mona Lisa durant 16 ans. Il avait l’impression d’être un raté parce qu’il se laissait constamment divertir par ce qui se passait autour de lui. Il l’a même écrit dans son journal. Mais ce qu’il ne réalisait pas à ce moment-là, c’est que certaines de ces diversions, comme les expériences optiques, ont changé sa façon de modeler la lumière et en fin de compte, ont fait de lui un peintre plus talentueux.

La théorie insolite du professeur américain est née suite à un travail fructueux qu’il a mené avec des étudiants. Adam Grantrecommande désormais aux gens qui remettent toujours leurs tâches au lendemain de ne pas se considérer comme paresseux mais créatifs.

Et le corporate hacking dans tout cela ?

Et bien si l’on se penche sur ces quelques lignes, on pourrait en déduire que c’est une forme de d’auto-hacking. L’individu, afin d’éviter certaine tâche imposée par son travail, peut avoir tendance à les repousser « Ad vitam æternam ». Cela devient intéressant lorsqu’il fait cela au bénéfice de tâches qu’il jugera plus intéressantes, plus stimulantes et créatrices de valeur pour l’entreprise. Si cela s’applique cela à un individu, voire à un groupe, la tâche « optimisée » et conçue par des bureaux de méthodes, peut vite poser problème et sera remise en question par l’organisation en tant que telle. Une forme de rébellion passive en somme.

Comment bien gérer sa procrastination ?
Attention, toutes ces recherches parlent bien de procrastination active ! Pour être efficace, un procrastinateur doit apprendre à gérer sa procrastination sans pour autant finir par ne rien faire. On parle plutôt de procrastination stratégique : savoir écouter son corps et son esprit et remettre à plus tard les tâches que ce n’est pas le moment d’accomplir. Prendre des pauses, éventuellement faire une sieste pour être plus efficace, changer d’activité suffisamment souvent. Finalement, cela revient à changer de regard sur le temps de travail, en avoir une notion moins figée et plus fluide.

Quelques éléments bibliographiques sur lesquels vous trouverez des articles //
La procrastination : L’art de reporter au lendemain « John Perry »

Adam Grant / Jihae Shin

Bluma Zeigamik

Nicolas-

 


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